La révolution Factur-X

Il y a encore peu d’années, un papier et un crayon suffisaient pour émettre une facture ou une fiche de paye. Mais ça c’était avant.

Depuis, de nombreuses obligations sont venues s’ajouter à celles existantes, comme celle de faire figurer le n° de TVA et de SIRET du client, de faire figurer un tableau récapitulatif de TVA par taux, de faire figurer des sous-totaux par type de prestation, de faire figurer le montant de l’indemnité forfaitaire prévu au décret n° 2012-1115 du 2 octobre 2012, etc. Et les fiches de paye sont devenues les monstres d’inintelligibilité que l’on sait.

Toutes ces obligations, qui ont alourdi la vie économique sans apporter le moindre gain à la compétitivité des entreprises, datent de moins de vingt ans : c’est dire si cette inflation normative est rapide. Aujourd’hui,  sans ordinateur, il est devenu impossible d’émettre un bulletin de salaire, et quasi-impossible d’émettre une facture.

L’étape suivante est de vous retirer, dès 2024, le droit de transmettre une facture à votre client : vous aurez l’obligation de la transmettre, au format Factur-X, à une plateforme étatique, qui se chargera de la transmettre à votre client, s’il la juge conforme,

Qu’est-ce que le format Factur-X ?

Factur-X est un format franco-allemand de génération de factures, qualifié de « format hybride », car il mixe un fichier au format PDF, lisible par un humain, avec un second fichier au format XML, qui nécessitera un programme pour pouvoir être lu. Ainsi, il sera par exemple possible de lire les factures de votre fournisseur et de les intégrer dans votre ERP, sans aucune ressaisie.

Il y aura quatre « grades » de Factur-X (un cinquième est encore en cours de discussion), en fonction des informations embarquées dans le fichier XML :

  • Factur-X Minimum : avec les données minimum exigées par Chorus Pro, équivalent d’une extraction de données d’entête et de pied par OCR
  • Factur-X Basic WL : avec en plus des données d’entête et de pied de factures courantes
  • Factur-X Basic : avec en plus les données essentielles des lignes de facture
  • Factur-X EN 16931 : avec en plus toutes les données prévues dans le norme européenne EN16931

Pour en savoir plus : spécifications du format Factur-X.

Factur-X n’est pas le seul format existant d’échanges de données informatiques : avant lui existaient UBL et CII, formats internationaux également conformes aux contraintes légales actuelles en France.

Le format Factur-X est promu en France par le forum national de la facture électronique et des marchés publics électroniques (FNFE-MPE). Il est accepté par Chorus Pro, portail public de facturation actuel pour les entités publiques.

 

Les flux

Le modèle de transmission de données que l’administration française a prévu repose sur trois types d’acteurs :

  • Le portail public de facturation (PPF), qui va gérer l’annuaire des entreprises et sur lequel il sera possible de saisir, déposer, émettre et recevoir des factures. Les presations du PPF seront « gratuites » (financées par les contribuables). Plus d’information ici et .
  • Les plateformes de dématérialisation partenaires (PDP), opérateurs privés assurant le même service que le PPF, très probablement mieux puisqu’il s’agit d’entreprises privées, mais ce service sera payant. Elles devront être agrées par l’administration fiscale.
  • Les opérateurs de dématérialisation (OD) : ce sont les entités qui peuvent produire des factures au format Factur-X, mais qui ne sont pas PDP. Ce sera le cas de la plupart des éditeurs d’ERP européens. Gestan, qui offre la possibilité de produire des factures au format Factur-X Minimum depuis 2022, fait partie des OD.

A l’émission d’une facture par un OD, vous devrez consulter l’annuaire central des entreprises disponible sur le PPF, pour savoir à quelle plateforme est associée l’entreprise destinataire de la facture. Puis vous devrez transmettre cette facture soit au PFF soit au PDP, qui sera transmise à votre client si elle est jugée correcte.

Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, devront faire le choix de leur plateforme de réception avant l’entrée en vigueur de l’obligation, le 1er juillet 2024. En l’absence de choix, elles seront par défaut rattachées au PPF.

Le PPF ou les PDP, pour examiner la conformité de votre facture, et pour transmettre les données de reporting à l’état pour ce qui est des PDP, vont lire aumatiquement les données commerciales contenues dans les fichiers XML.

Le calendrier

Le calendrier a été fixé par le III de l’article 26 de la loi de finances rectificative pour 2022 n°2022-1157 du 16 août 2022.

En émission

Vous serez obligé d’émettre des factures au format Factur-X

  • Dès le 1er juillet 2024 pour les grandes entreprises
  • Dès le 1er janvier 2025 pour les établissements de taille intermédiaire
  • Dès le 1er janvier 2026 pour les petites et moyennes entreprises.

En réception

Vous serez obligé de pouvoir recevoir des factures au format Factur-X à partir du 1er juillet 2024, dès lors que votre fournisseur a obligation d’émettre selon un format électronique.

Avantages et inconvénients.

L’état présente le projet comme réponse à quatre objectifs qui seraient de lutter contre la fraude à la TVA, de faciliter sa déclaration, de simplifier la vie des entreprises, et connaître en temps réel leur activité.
Simplifier la vie des entreprises en leur imposant un système administratif supplémentaire relève à l’évidence du marketing politique, de même que la facilitation de la déclaration de TVA, puisque les logiciels existants font cela très bien. En revanche, l’objectif est bien de contrôler davantage la collecte de la TVA – critère important pour les agences de notation, et d’avoir une vue en temps réel sur les échanges commerciaux des entreprises, avec un niveau de détail sans utilité technique.
L’argument de la lutte contre la fraude à la TVA est lui aussi à mettre au crédit des arguments de pur marketing politique : mis en avant à chaque évolution, il avait déjà été évoqué, par exemple, pour adopter la norme NF525 (LF 2018), et pourtant cette norme n’a rien changé à la lutte contre la TVA, tout simplement parceque les volumes concernés sont marginaux, et que la lutte contre les fraudes à la TVA n’était pas en cause : il s’agissait de contrôler les transactions en numéraire en Autriche et en Italie. Mais en terme réthorique, c’est un argument qui fait mouche, faisant passer de facto tout regard critique comme un soutien à la fraude. Une véritable lutte contre la fraude à la TVA ne consiste pas à enfermer les entreprises, dont la bonne foi est immensément majoritaire, dans une présomption de culpabilité, mais à déclencher des inspections ciblées sur les secteurs ou les entreprises connues pour cela, et d’appliquer les sanctions prévues.
Ce système va générer des coûts importants : côuts d’infrastructure (serveurs, liaisons informatiques, centre de traitement de données, fonctionnaires et personnels de contrôle), coût administratifs (formation des personnels, temps de traitement mécaniquement plus longs, traitement des erreurs et des litiges, coûts de développement imposés par l’état mais non payés aux éditeurs, etc). Et ces coût ne seront évidemment pas compensés par des gains de performance. Pour seul avantage, l’état avance que les délais de règlement pourraient en être raccourcis, sans en préciser aucun des motifs : là encore, sauf démonstration contraire, cet argument n’est pas fondé.
Au plan des données, l’état et les tiers agréés (PDP) disposeront partiellement en 2024 mais exhaustivement dès 2026, de la totalité des informations économiques concernant tout échange commercial entre entreprises (puis avec les particuliers : c’est l’objet du e-reporting, lui aussi annoncé) : clients, produits, volumes, prix, remises, provenances, etc. L’utilité de ce niveau de détail n’étant pas exposé, cette collecte de données contrevient directement au RGPD. Les entreprises perdent leur souveraineté numérique, ne maîtrisant plus la sécurité de leurs données et de celles de leurs clients. Le secret des affaires disparaît dans le même temps. Les inévitables piratages de données pourront prendre des dimensions industrielles, les fichiers étant centralisés, et comme dans tout système administratif avec un niveau de corruption non nul, les usages illicites de ces données permettront à ceux qui pourront y avoir accès d’influer illégalement sur la vie économique, donc sur la vie politique. Enfin, le caractère éminemment intrusif de ce processus ne manquera pas de renforcer les systèmes parallèles déjà existants.
Au plan démocratique, le projet est entouré d’un flou certain, et Internet est bien en peine de révéler l’origine de ce projet, qui le porte (il semble que son origine soit à rechercher du côté des institutions européennes, dont on se souvient de sa législation sur la courbure des concombres), et s’il a fait l’objet des débats parlementaires qu’il mériterait, s’inscrivant dans les évolutions qui font ressemembler l’Europe de 2024 (le Portugal et l’Italie fonctionnent déjà sous ce système) à l’URSS d’avant 1991.