Il y a encore peu d’années, un papier et un crayon suffisaient pour émettre une facture ou une fiche de paye. Mais ça c’était avant.
Depuis, de nombreuses obligations sont venues s’ajouter à celles existantes, comme celle de faire figurer le n° de TVA et de SIRET du client, de faire figurer un tableau récapitulatif de TVA par taux, de faire figurer des sous-totaux par type de prestation, de faire figurer le montant de l’indemnité forfaitaire prévu au décret n° 2012-1115 du 2 octobre 2012, etc.
Toutes ces obligations, alourdissant la charge administrative sans produire le moindre gain à la compétitivité, datent de moins de vingt ans : c’est dire si cette inflation normative est rapide. Aujourd’hui, sans ordinateur, il est devenu impossible d’émettre un bulletin de salaire, et quasi-impossible d’émettre une facture réglementaire, ce qui constitue de facto une obligation de moyen dont le principe est discutable.
L’étape suivante consiste à retirer aux entreprises le droit de transmettre directement une facture à leurs clients : elles devront la transmettre à une plateforme étatique, au format Factur-X, cette plateforme se chargeant ensuite de la transmettre au client final.
L’origine de ce projet est assez floue, les archives disponibles sur Internet ne livrant que de très faibles traces des débats parlementaires que cette révolution aurait du susciter. Il semble que le projet soit porté par les institutions européennes, par une voie non démocratique, sauf preuve contraire. Ce qui est certain, c’est qu’il ne s’agit en aucun cas d’une demande des entreprises.
Qu’est-ce que le format Factur-X ?
Factur-X est un format franco-allemand de génération de factures, qualifié de « format hybride », car il mixe un fichier au format PDF, lisible par un humain, avec un second fichier au format XML, qui nécessitera un programme pour pouvoir être lu. Ainsi, il sera par exemple possible de lire les factures de votre fournisseur et de les intégrer dans votre ERP, sans aucune ressaisie.
Il y aura quatre « grades » de Factur-X (un cinquième est encore en cours de discussion), en fonction des informations embarquées dans le fichier XML :
- Factur-X Minimum : avec les données minimum exigées par Chorus Pro, équivalent d’une extraction de données d’entête et de pied par OCR
- Factur-X Basic WL : avec en plus des données d’entête et de pied de factures courantes
- Factur-X Basic : avec en plus les données essentielles des lignes de facture
- Factur-X EN 16931 : avec en plus toutes les données prévues dans le norme européenne EN16931
Pour en savoir plus : spécifications du format Factur-X.
Factur-X n’est pas le seul format existant d’échanges de données informatiques : avant lui existaient UBL et CII, formats internationaux également conformes aux contraintes légales actuelles en France.
Le format Factur-X est promu en France par le forum national de la facture électronique et des marchés publics électroniques (FNFE-MPE). Il est accepté par Chorus Pro, portail public de facturation actuel pour les entités publiques.
Les flux
Le modèle de transmission de données que l’administration française a prévu repose, dans le plan actuel, sur trois types d’acteurs :
- Le portail public de facturation (PPF), qui va gérer l’annuaire des entreprises et sur lequel il sera possible de saisir, déposer, émettre et recevoir des factures. Les prestations du PPF seront « gratuites » (financées par les contribuables). Plus d’information ici et là.
- Les plateformes de dématérialisation partenaires (PDP), opérateurs privés assurant le même service que le PPF, très probablement mieux puisqu’il s’agit d’entreprises privées, mais ce service sera payant. Elles devront être agrées par l’administration fiscale. Il s’agit d’un concept très proche de celui des Fermiers Généraux d’Ancien Régime.
- Les opérateurs de dématérialisation (OD) : ce sont les entités qui peuvent produire des factures au format Factur-X, mais qui ne sont pas PDP. Ce sera le cas de la plupart des éditeurs d’ERP européens. Gestan, qui offre la possibilité de produire des factures au format Factur-X Minimum depuis 2022, fait partie des OD.
A l’émission d’une facture par un OD, il sera nécessaire à l’émetteur de consulter l’annuaire central des entreprises disponible sur le PPF, pour savoir à quelle plateforme est associée l’entreprise destinataire de la facture. Puis la facture devra être transmise soit au PFF soit au PDP, ces organismes se chargeant de la transmettre au client final, si la facture est jugée correcte.
Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, devront faire le choix de leur plateforme de réception avant l’entrée en vigueur de l’obligation. En l’absence de choix, elles seront par défaut rattachées au PPF.
Le PPF ou les PDP, pour examiner la conformité de votre facture, et pour transmettre les données de reporting à l’état pour ce qui est des PDP, vont lire aumatiquement les données commerciales contenues dans les fichiers XML.
Le calendrier
Le calendrier a été fixé par le III de l’article 26 de la loi de finances rectificative pour 2022 n°2022-1157 du 16 août 2022. Puis, devant l’impréparation évidente de ce qui constitue bel et bien une révolution impactant une fonction essentielle de l’entreprise, la PLF 2024, adopté pour sa première partie le 18 octobre 2023 suite à un n-ième recours à l’article 49.3 propose un nouveau calendrier décalé de deux ans.
Ainsi, la plateforme PPF sera testée en 2024, la mise en place de l’annuaire sera effectuée en 2025 sur la base du volontariat, puis en 2026 toutes les entreprises devront pouvoir lire du Factur-X et les grandes entreprises en émettre, et enfin, le 01/01/2026, l’émission sera une nouvelle obligation étendue aux PME et micro-entreprises.
Avantages et inconvénients.
L’état présente le projet comme réponse à quatre objectifs qui seraient de lutter contre la fraude à la TVA, de faciliter sa déclaration, de simplifier la vie des entreprises, et connaître en temps réel leur activité.
La lutte contre la fraude à la TVA est à mettre au crédit des arguments de pur marketing politique : mis en avant à chaque évolution, il avait déjà été évoqué, par exemple, pour adopter la norme NF525 (LF 2018), et pourtant cette norme n’a rien changé à la lutte contre la TVA, tout simplement parce que les volumes concernés sont marginaux, et que la lutte contre les fraudes à la TVA n’était pas en cause : il s’agissait de contrôler les transactions en numéraire en Autriche et en Italie. Mais c’est un argument qui fait mouche, faisant passer de facto tout regard critique comme un soutien à la fraude. Une véritable lutte contre la fraude à la TVA ne consiste pas à enfermer les entreprises, dont la bonne foi est immensément majoritaire, dans une présomption de culpabilité, mais à déclencher des inspections ciblées sur les secteurs ou les entreprises connues pour cela, et d’appliquer les sanctions prévues. Tout en accroissant le consentement à l’impôt par un usage raisonnable et efficace des deniers publics.
La facilitation de la déclaration de TVA et faciliter la vie des entreprises est également un argument de marketing politique puisque les logiciels existants font déjà cela très bien. Par ailleurs, il y a un certain cynisme à invoquer un argument de confort sur un mode contraignant : lorsque vous voulez faciliter la vie des entreprise, vous leur proposez un outil, vous ne l’imposez pas. Et c’est l’acceptation volontaire de l’outil qui valide le fait qu’il leur facilite la vie. Ou pas.
La connaissance en temps réel de l’activité des entreprises est un argument valide. L’objectif est bien de contrôler la collecte de la TVA – critère important pour les agences de notation, et d’avoir une vue en temps réel sur les échanges commerciaux des entreprises, avec un niveau de détail sans utilité technique. Mais il s’agit d’une utilité politique, qui n’apportera rien à la compétitivité économique.
L’état ne parle pas des inconvénients de cette nouvelle couche administrative.
Génération de coûts : ce système va générer des coûts d’infrastructure (serveurs, liaisons informatiques, centre de traitement de données, fonctionnaires et personnels de contrôle), coût administratifs (formation des personnels, temps de traitement mécaniquement plus longs, traitement des erreurs et des litiges, coûts de développement imposés par l’état mais non payés aux éditeurs, etc). On voit mal que ces coûts puissent être compensés par des gains de performance. Si l’état avance que les délais de règlement pourraient en être raccourcis, il n’en précise pas les motifs et ne base pas son argument sur des études correctes, aussi devons-nous considérer que cet argument n’est pas fondé.
Atteinte au secret des affaires, non conformité RGPD. Au plan des données, l’état et les tiers agréés (PDP) disposeront, à terme, de la totalité des informations économiques concernant tout échange commercial entre entreprises, puis avec les particuliers (c’est l’objet du e-reporting, lui aussi annoncé) : clients, produits, volumes, prix, remises, provenances, etc. L’utilité de ce niveau de détail n’étant pas exposé, cette collecte de données contrevient directement au RGPD. Les entreprises perdent leur souveraineté numérique, ne maîtrisant plus la sécurité de leurs données et de celles de leurs clients. Le secret des affaires disparaît dans le même temps. Les inévitables piratages de données pourront prendre des dimensions industrielles, les fichiers étant centralisés, et comme dans tout système administratif avec un niveau de corruption non nul, les usages illicites de ces données permettront à ceux qui pourront y avoir accès d’influer illégalement sur la vie économique, donc sur la vie politique : il n’est que de voir les scandales à répétition causés par les accès illicites aux fichiers de police ou des exemples tels que le piratage et la mise en vente des fichiers du SNU (novembre 2023). Enfin, le caractère éminemment intrusif de ce processus ne manquera pas de renforcer les systèmes parallèles déjà existants.